Médoc - N°85 - Décembre/Janvier 2007

Eric Holder : un grand écrivain dans le Médoc

Eric Holder, «le meilleur écrivain français des moins de 50 ans», vit aujourdhui dans la Pointe du Médoc, entre Queyrac et Vendays.

 

Il arrive à grandes enjambées, les cheveux en bataille, l'œil à la fois ironique et bienveillant, la musette en bandoulière. Ah ! la musette, présente dans tous les livres d'Eric Holder, nouvelles ou romans, symbole et instrument de sa liberté... Elle est de toile grise, en ce moment, et elle sert à emporter deux biftecks et une salade qu'Eric Holder est allé acheter avant de rejoindre le café de la Paix à Vendays, «chez Chantal», où il a ses habitudes.

Ici tout le monde le connaît et le salue familièrement. «Vous allez me trouver angélique, sourit Holder, mais tant pis. Je trouve qu'ici, dans le Médoc, on pratique l'affection. Si l'on n'a pas vingt marques d'affection dans une journée, la vie est ratée. L'affection ne se manifeste pas par le langage mais par des gestes, des attentions...»

«Il ose parler de fraternité et de générosité sans que cela prête à sourire, écrit de lui Patrick Besson, l'écrivain et fantasque chroniqueur du Point. Il persiste à croire à la grande aventure des sentiments telle qu'il la décrit si bien. Eric Holder est un merveilleux écrivain inactuel.»

«Besson, une fois il m'encense, une autre fois il me démolit», s'amuse Eric Holder qui bénéficie de soutiens plus constants tels que celui de Jérôme Garcin, le critique du Nouvel Observateur et du Masque et la Plume : «Holder porte sur le monde, les femmes, les enfants, les saisons, les objets, les tableaux, la vie qui passe un regard qu'on lui envie. Du quotidien il fait de l'art.» Ou encore ceux de Josyane Savigneau, du Monde, et de Jean-Pierre Tison, l'ancien critique de RTL et de Lire qui découvrit Holder en 1985 quand il publia, à 25 ans, son premier roman Manfred ou l'hésitation et le qualifie aujourd'hui de «meilleur écrivain français des moins de 50 ans». Le feuilletoniste du Monde, Bertrand Poirot-Delpech, avait, à l'époque, comme Tison, deviné dans ce premier roman le styliste qu'il est devenu. Notons à ce propos, puisque nous sommes dans le Médoc, la parenté entre le (bon) critique littéraire et le (bon) critique du vin. Le premier sait deviner dans l'œuvre de jeunesse, pleine d'imperfections, le futur écrivain comme le second décèle dans le vin nouveau, presque imbuvable, le futur grand cru. On mesure ainsi que tout le monde ne peut être critique...

Eric Holder est bien trop modeste pour faire état de tels parrainages. Il préfère évoquer ses modèles : Stendhal – «plus la langue est concise, plus elle est belle» –, Giono – «capable de faire une description en trois lignes» – et plus près de nous Henri Calet – «c'est une filiation que je revendique, tout était tracé avec Calet». Il rappelle, ému, la dernière ligne écrite par Calet la veille de sa mort à 52 ans, en 1956 : «Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes.»

Il cite encore les écrivains dans la lignée desquels il se situe : Alexandre Vialatte, André Dhôtel, Pierre Herbart, Philippe Delerm dont le succès le réjouit : «La fortune a les yeux bandés, on ne peut pas prévoir mais c'est formidable que ce soit tombé sur lui», commente-t-il.

Il ne cite pas le fils – on le fera pour lui –Vincent Delerm, qui lui rend hommage dans sa chanson «Fanny Ardant et moi» aux rimes approximatives :

«Elle est posée sur l'étagère,

Entre un bouquin d'Eric Holder,

Un chandelier blanc Ikéa

Et une carte postale de Maria.»

 

«Au milieu de nulle part»

 

«Au milieu de nulle part», titre d'une nouvelle d'Eric Holder, publiée en 1994, commence ainsi : «Je suis l'écrivain le plus connu de Thiercelieux,77, Seine-et-Marne. Thiercelieux compte une cinquantaine d'âmes, et il est inutile d'aller chercher ce nom sur une carte...» C'est dans un autre «au milieu de nulle part» que l'écrivain s'est installé, il ya trois ans – après avoir abandonné la Brie –, dans un hameau à mi-chemin entre Queyrac et Vendays, les Ourmes. «Avec ma femme, Delphine, nous voulions vivre sur la côte atlantique. On a mis les pieds à Soulac. On a su que c'était là !» Holder avoue un goût pour les friches, les endroits déshérités, à l'image de son ami Jean Rolin qu'il admire. Il est très heureux, ici, vit en bonne intelligence avec ses voisins agriculteurs, fait les vendanges avec les viticulteurs. «Cette année, j'étais porteur...», celui qui porte la hotte...

Ses endroits préférés dans cette pointe du Médoc ? «Montalivet l'été, Vendays l'hiver». Quand travaille-t-il ? «En ce moment, c'est plutôt le matin et quelquefois l'après-midi. Mais il y a beaucoup de jours où je n'écris pas, mais je prends des notes très précises. C'est la moitié du travail.» A questions convenues, réponses selon l'humeur car quand, il y a peu, Catherine Jorgensen lui pose la question : «Comment passez-vous des notes au récit ?» Holder répond en se frappant le front : «Le laboratoire, c'est là ! Pas de notes. Très peu.» Passons. La gentillesse et la simplicité d'Holder sont telles qu'on ne va pas s'offusquer...

Sous cette apparente nonchalance, Holder est un écrivain très organisé. Il le faut quand on vit, comme lui, de sa plume. Ils ne sont pas si nombreux en France. «Un écrivain c'est quelqu'un qui rentre chez soi et qui travaille», a-t-il dit un jour.

«J'alterne les romans et les nouvelles. Je souffre d'avoir menti en écrivant un roman, alors je rattrape cela par des récits...» Après le roman La Baïne cette année – «Vous savez que le mot baïne ne figure dans aucun dictionnaire ?» –, ce sera donc un récit l'an prochain ayant pour sujet la presqu'île du Médoc et il s'intitulera «De loin, on dirait une île».

 

A 16 ans

 

A 48 ans, Eric Holder a plus de vingt livres derrière lui. Il a été publié dès 25 ans mais il a commencé à écrire dix ans plus tôt. Ses parents, après 1968, avaient largué les amarres. Le père avait abandonné une situation confortable et une famille bourgeoise (une branche des Holder, ce sont les centaines de boulangeries Paul) pour devenir métayer près de Ramatuelle. La mère vendait de la laine sur les marchés... Eric, qui ne pensait qu'à écrire, avait fait une fugue à 15 ans avec Kérouac et Les Fleurs du mal dans sa musette. Les flics l'avaient cueilli à Paris et ses parents l'avaient prestement remis au lycée où il rencontrait Delphine, «amour de ma vie», expression qui revient en permanence dans toute l'œuvre de Holder, comme la musette – on pardonnera le rapprochement. «Amour de ma vie» est toujours présente et a créé une petite maison d'édition1. Les enfants ont grandi. Lola, 22 ans, étudie en Argentine après un master d'histoire, et Théo, 17 ans, est déjà en fac de philo à Bordeaux. Brillants l'un et l'autre. «J'ai de la chance», dit sobrement Eric.

Pendant les vacances à l'adolescence, lui, il enchaînait les petits boulots : «Serveur à Saint-Tropez, je gagnais autant qu'un pilote de ligne !» Et il écrivait. Sa mère, loin de le décourager, avait montré son premier manuscrit, une nouvelle déjà – il avait 16 ans –, à l'une de ses clientes du marché, Christiane Rochefort, écrivain à la mode (Le Repos du guerrier). Celle-ci avait trouvé que le petit avait du talent et avait soumis la nouvelle à André Bay, directeur littéraire de Stock. «Je me souviens encore par cœur de sa réponse écrite : il n'est pas possible de vous publier. Trop jeune ? Trop court ?»

Depuis, Holder a accumulé les prix (Fénéon, Roger-Nimier, Novembre...), il a frôlé, il y a une dizaine d'années, le Renaudot et le Fémina. Peu de chances qu'il les ait un jour. Les éditeurs, qui font les prix, privilégient aujourd'hui les gros pavés de 700 pages, ce qui n'est pas le «format» de la littérature intimiste d'Holder, de son écriture épurée dont voici un exemple, en quelques lignes, au début de La Baïne pour ceux qui n'auraient pas encore lu le roman.

 

« "Médoc" : la région au milieu du flot. De là vient qu'à Soulac, située près de la pointe, côté salé, on nous prête un tempérament d'îliens. Et certes, lorsque nous gagnons Le Verdon, la commune voisine, du côté saumâtre où s'engouffrent les cargos, nous ne pouvons nous défaire du sentiment que le continent se trouve sur la rive opposée, en Saintonge. L'Europe s'arrêterait à Royan. Le bac qui y assure une liaison signe notre éloignement.»

«On nous dit réservés, farouches. A Soulac, six mois par an, nous nous contentons de résister. Nous : 2 819 âmes qui connaissons en morte-saison un sort lié aux éléments. Le noroît, le vent de plein ouest depuis le Nouveau-Brunswick, les vagues qui, se contrariant, brisent en houppée, ou, au contraire, écrasent la plage sous leurs rouleaux, les ciels immenses, tantôt glacés, tantôt traversés de nuages roses en file indienne, les coups de chien, le froid si vif en février qu'on ne parvient pas à s'en débarrasser tout à fait, la chaleur revenue l'espace d'un après-midi, comme on prend sa respiration avant de replonger, nous tiennent lieu d'Histoire, épurent nos traits et sculptent nos caractères.»

 

1 Editions Delphine Montalant.

Les Ourmes, 4 chemin des Geais - 33340 Queyrac.

Dernière publication : Montalivet par Jean Dufour

 


 

Pour découvrir Holder

 

Nouvelles du Nord, Le Dilettante, 1984. Manfred ou l'hésitation, Le Seuil, 1985. La Chinoise, Le Dilettante, 1987. Duo forte, Grasset, 1989 Prix Fénéon. Les Petits Bleus, Le Dilettante, 1990. L'Ange de Bénarès, Flammarion, 1993. La Belle Jardinière, Le Dilettante, 1994 Prix Novembre. Bruits de cœurs, Les Silènes, 1994. En compagnie des femmes, Le Dilettante, 1996, Prix Roger-Nimier. Mademoiselle Chambon, Flammarion, 1996. Jours en douce, Flohic, 1997. On diait une actrice, Librio, 1997. Nouvelles du Nord et d'ailleurs, Le Dilettante, 1998. Bienvenue parmi nous, Flammarion, 2000. La Correspondante, Flammarion, 2000. Masculins singuliers, Le Dilettante, 2001. Hongroise, Flammarion, 2002. L'Histoire de Chirac, Flammarion, 2003. Les Sentiers délicats, Le Dilettante, 2005. La Baïne, Le Seuil, 2007.

Commentaires des internautes
rotko - le 26/12/2009 à 11:06
bonjour, je connais mal Eric Holder, j'ai lu en diagonale "de loin on dirait une île", je devais le rendre immédiatement à la bibliothèque. Holder ne racontait rien de sensationnel, mais il est de ceux que l'on écoute, car on est sensible à sa voix.

"La belle jardinière", que je lis, évoque des moments quotidiens et des objets courants : Holder nous force à y prêter attention, et même si on fréquente d'autres personnes que celles de son monde, on aime son rapport aux êtres.

Je n'en ai pas fini avec lui !

http://grain-de-sel.cultureforum.net/auteurs-francais-et-d-expression-francaise-f3/eric-holder-t6398.htm#143624
Luc-Michel - le 10/05/2010 à 23:40
Je suis heureux d'avoir rencontré l'écriture d'Eric Holder. Finesse, simplicité, subtilité. Je n'ai pas encore lu toute son oeuvre mais je crois bien que je lirai tout !
Eric Holder sera le président du concours de nouvelles d'Ozoir-la-Ferrière, éditions 2010.
Sylviane Carrat - le 10/10/2015 à 16:20
J'ai lue quelques livres d' Eric Holder qui m'ont beaucoup plu. J'ai adoré, je suis née dans le Médoc peut etre aussi que ce qui decrit je connais.
merci
Lise de montmagner - le 31/07/2018 à 19:57
Je viens de lire la belle qui n'a pas sommeil et je suis tellement triste de l'avoir fini que je me suis décidée à le relire une seconde fois...!
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